Raid urbain Les Sous-Fifres Action culturelle Espace Django Strasbourg Neuhof

Pirates un jour, pirates toujours

Entretien avec Les Sous-Fifres
15.05.2023

Le projet Django, c’est une forme de ricochets permanents. Il se vit dedans, dehors, en salle, chez les uns, chez les autres, de manière préparée ou par surprise, à plusieurs échelles et une multitude d’endroits. Depuis plusieurs années, des artistes engagés sillonnent avec nous mensuellement au Neuhof des espaces de jeux d’un air nouveau, de la salle d’attente de la maison de santé à celle du centre médico-social, de la boulangerie aux travées de la grande surface, de la terrasse des cafés aux salles de classe, de la cour d’un institut médico-éducatif à l’irruption en plein rendez-vous. Une seule consigne : provoquer la rencontre de manière impromptue. Ces raids urbains, comme nous les nommons, ont eu des formes diverses : commandos de lecture, brigades musicales, parcours dansés. Dorénavant, c’est un duo d’art de rue qui ont la tâche difficile de sublimer ces bouts de quotidien, Les Sous-Fifres. Avec eux, nous prenons un malin plaisir à déployer des bulles de poésie et d’oxygène partout (et surtout) là où ne les attend pas. Attention frottement, bienvenue grands et petits yeux écarquillés.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? En quoi consiste votre duo ?

Nous sommes un duo formé de Mimouch et Benoît Charrier, et on développe de l’art de rue où on mêle plusieurs disciplines : le conte, la musique, le cirque, le clown et le théâtre. On vient de deux univers différents. Mimouch vient de l’art du cirque, Benoît du conte et de la musique, et on mêle les deux dans la rue. Les Sous-Fifres c’est une rencontre entre nos deux univers. On ne vient pas du même endroit, mais on regarde à peu près dans la même direction, et on arrive à se rejoindre pour devenir complémentaires. Dans nos parcours, nous avons tous les deux beaucoup côtoyé le jeune public et l’improvisation.

Que déployez-vous dans ces raids urbains ?

De la créativité. C’est d’abord autour de cette notion qu’on s’est réunis, et qu’on s’est senti connectés avec l’Espace Django. Notre duo est naissant et on cherchait un endroit où on pouvait essayer des choses, les raids urbains étaient le format adéquat. C’est exactement l’endroit où on peut expérimenter des choses avec régularité, et construire petit à petit un format plus long.

Cette formule « laboratoire », moulée au réel, vous permet-elle d’explorer d’autres choses, par exemple de penser les futures articulations d’un spectacle plus formel ?

En effet, notre façon de fonctionner, c’est une forme de laboratoire. On se fait des mini résidences de quelques jours, d’où nous sortons une scénette. Ensuite, on la joue dans ces raids artistiques, dans ces lieux totalement insolites et on voit ce que ça donne, ce qui fonctionne, doit être réaménagé ou ce qui tape complètement à côté. On est donc vraiment dans cette idée d’expérimentation. La multiplicité du public est aussi un facteur clé. Dans la même journée, on peut jouer dans un EHPAD, une école, un institut médico-éducatif, une boulangerie, un centre médico-social, une crèche ou encore une maison de santé. Pour nous c’est un bonheur et un honneur d’avoir autant de publics différents en une seule journée. Qui en plus n’a pas vraiment choisi d’être public pour le coup. Au fur et à mesure des représentations, la scénette évolue en fonction des réactions des gens. Entre le matin et l’après-midi, elle évolue et s’enrichit. Ce qu’on vient chercher avec ce type de format c’est la créativité, la nouveauté, la surprise et la poésie nichée dans les rencontres. Cela nous permet de continuer à expérimenter l’improvisation et l’adaptation, parce qu’un spectacle, ce n’est jamais quelque chose de figé.

Qu’est ce qui se joue dans ces moments de frottements, quand votre duo débarque sans crier gare dans les salles d’attente des établissements médico-sociaux du quartier, dans des salles de classe ou à la boulangerie ?

Ce qui nous amuse beaucoup, ce sont les gens qui, dès que tu rentres, s’en vont. Quand Mimouch sent celui qui fuit, il le suit. Mais pas de façon intrusive, l’idée c’est d’imposer la rencontre tout en gardant la bonne distance. On n’est pas là pour les violenter, on est là pour proposer une forme de spectacle, une bulle d’oxygène. On aime aussi beaucoup les réactions des enfants qui expriment toujours leur surprise de manière sonore. On remarque aussi la différence quand un enfant est entouré de ses pairs ou quand il est avec ses parents, ou tout simplement suivant les lieux, les réactions sont différentes, et ça, c’est fort comme moment. Avant tout, on souhaite que cette rencontre soit un doux souvenir, mais on accepte aussi quand ça ne fonctionne pas. Nos scénettes sont d’ailleurs suffisamment rapides pour ne pas trop gêner.

« Ce qu’on vient chercher avec ce type de format c’est la créativité, la nouveauté, la surprise et la poésie nichée dans les rencontres. »

Déployez-vous le même format à chaque intervention ?

Non, on travaille beaucoup en improvisation. On échange avec Mourad (co-directeur de l’Espace Django) en amont pour faire le tour des lieux dans lesquels on va jouer, et on imagine quelque chose. Et à chaque nouveau raid, on essaye de changer, d’aller dans des endroits que nous n’avons pas encore arpentés. Et on s’adapte. Par exemple, lors du dernier raid, on devait initialement faire irruption dans 4 salles de classe d’une école élémentaire. Mais quelle tristesse de délaisser les 12 autres classes. Après discussion avec le directeur, on s’est dit qu’on passerait plus de temps avec les plus petits, et que pour les plus grands on ferait une forme beaucoup plus courte. Mais tout le monde a eu le droit à sa bulle de poésie.

Qu’est-ce qui vous touche dans cette initiative ?

L’idéologie de l’Espace Django ! Parce qu’il n’y a pas beaucoup de structures qui proposent ce genre d’expériences. On est très contents et fiers d’avoir rencontré tous ces gens qui travaillent dans ce lieu et qui portent ces valeurs. Plus le temps passe et plus on se régale. Nous sommes tous les deux issus de l’éducation populaire pure et dure, et en voyant toute cette émulation à Django et l’état d’esprit dans lequel ça se passe, c’est un pur bonheur que de pouvoir y prendre part. D’ailleurs, en parlant de cette expérience à d’autres structures, on voit que l’idée plait ! Et finalement ça fait des petits parce qu’on va faire prochainement un autre raid artistique dans une MJC en Lorraine. On se fait le porte-parole de cet état d’esprit, et comme beaucoup de choses sont inventées ici, à travers nous, qui prenons plaisir à vivre ces expériences, on exporte les idées et c’est chouette. Nous sommes un peu des ambassadeurs de l’esprit Django.

Que vous renvoie le public qui n’a pas choisi de l’être ?

Ce qui est intéressant dans le public qui n’a pas choisi de l’être c’est que sans s’en rendre compte ils nous aident à construire le spectacle. Le public improvise avec nous et ça nous nourrit. On construit ensemble et c’est ça qui
est beau.

« Dans la même journée, on peut jouer dans un EHPAD, une école, un institut médico-éducatif, une boulangerie, un centre médico-social, une crèche ou encore une maison de santé. Pour nous c’est un bonheur et un honneur d’avoir autant de publics différents en une seule journée. Qui en plus n’a pas vraiment choisi d’être public pour le coup. »

Pourquoi les Sous-Fifres ?

On s’appelle les Sous-Fifres parce qu’on est au service de quelqu’un ou de quelque chose. Au départ, on est les sous-fifres de Dame Nature, on habitait dans la forêt, et on s’est fait dégager. Normalement, il faut se prosterner devant Dame Nature et on ne l’a pas fait parce que à ce moment-là on était en train de se disputer. Depuis on se retrouve justement ici dans la ville à errer à droite, à gauche et à essayer de se refaire une vie. Aussi être un sous-fifre, c’est ne pas se prendre au sérieux, ne pas être doté de la capacité à être chef. Donc si on n’est pas chef, on ne peut pas décider, et si on ne peut pas décider, on n’a que à se laisser porter, et c’est l’essence de notre projet.

Un souvenir marquant lors de vos derniers raids ?

Pour Benoît c’est quand on a joué sur la terrasse d’un café, et on avait une affiche qui disait aux gens qu’on cherchait une fée, c’était marqué « Wanted » avec le dessin de la fée. Et là, il y avait quelques jeunes attablés. Quand on leur a demandé s’il n’avait pas vu la fée, l’un d’eux m’a lancé en riant « c’est bon, je suis pas une balance ». Là je me suis dit qu’on avait touché quelque chose. Pour Mimouch, c’est à l’IME Ganzau (institut micro-éducatif). On arrive dans la cour de récréation alors que les ados étaient déjà là, et quand ils nous ont vu, on s’est fait directement envahir. Il y avait beaucoup beaucoup de vie et de grosses leçons à prendre. Ces jeunes ont moins de filtres, et du coup il y a quelque chose d’hyper honnête, d’intègre et de spontané. Ça m’a beaucoup touché. La dernière chose, c’est que lors d’un raid à l’automne, on a collé en hauteur des affiches où on recherchait la fée. Elles y sont toujours dans certains lieux, ça nous a beaucoup fait sourire.

Remerciements pour la retranscription : Emmie Obergfell-Davin et Peline Cakici