La musique pour les plus jeunes, un levier pour se construire et tisser des liens

Entretien avec Bernadette Bombardieri, ancienne directrice de l’action culturelle et de l’éducation artistique de la SACEM.
07.03.2022

L’Espace Django est engagé depuis plusieurs saisons dans le dispositif des Fabriques à Musique initié par la Sacem. Le principe est simple : autour d’une esthétique musicale donnée, mettre en relation un.e compositeur.ice interprète, une salle de spectacle ainsi qu’une classe d’un même territoire pour une création partagée qui aboutit à une représentation sur scène. Bernadette Bombardieri vient d’achever sa mission auprès de la SACEM comme directrice de l’action culturelle et de l’éducation artistique, et entame une retraite bien méritée. Elle revient avec nous sur des enjeux partagés qui dépassent largement le cadre d’un projet de création artistique, avec un recul bienvenu. Entretien.

En quelques mots, qui es-tu ? Quelles étaient tes missions, tes activités respectives ?

Très tôt, j’ai été sensibilisée à la musique, au cinéma, au théâtre, au spectacle vivant … à la fois par des enseignants aux différentes étapes de ma scolarité et par mes frères et soeurs qui m’emmenaient avec eux chaque fois qu’un artiste se produisait dans la région (je suis originaire de Longwy en Meurthe et Moselle). A l’adolescence, j’étais convaincue que l’art et plus particulièrement la musique contribuaient de façon inextinguible à notre épanouissement personnel et à renforcer notre relation aux autres. Cette découverte fût le moteur de ma vie, j’ai pu la partager au travers des différentes expériences qui ont ponctué mon parcours professionnel, notamment pendant les 17 dernières années passées au sein de l’action culturelle de la Sacem où j’ai pu mener à bien un certain nombre d’opérations permettant de développer la sensibilisation à la création musicale des enfants.

Tu as un certain recul sur l’évolution des pratiques musicales, à l’école notamment. Qu’est ce qui te saute aux yeux aujourd’hui lorsque tu vas à la rencontre de tous ces projets ?

La première constatation qui s’impose, c’est la diversité et la richesse des propositions élaborées par les structures culturelles avec les artistes et en étroite collaboration avec les interlocuteurs de l’Éducation nationale, en premier lieu les enseignants. Quand cela fonctionne, cette forme de co-construction de projet dans lequel chacun de manière complémentaire, apporte sa compétence et son savoir faire en fonction des besoins des élèves, est tout à fait exemplaire. Nous assistons aujourd’hui à un foisonnement exceptionnel de ce type d’initiatives menées par ceux qui sur le terrain s’engagent et se démènent pour les faire aboutir avec des moyens financiers et humains rarement à la hauteur de l’enjeu. Toutefois cette impulsion militante, quoique très vivace, reste ponctuelle et limitée car les 12 millions d’élèves ne seront pas tous concernés. Quelle est donc la probabilité qu’un enfant, qu’un adolescent soit touché par une de ces actions ? A ce stade se pose de façon aiguë et urgente la question de la généralisation et de la pérennité dont doivent se saisir les politiques et les pouvoirs publics.

Tu as beaucoup œuvré pour des projets (Fabriques à musique, Salles mômes) où ce sont les plus jeunes qui font vivre la création musicale. Quel levier éducatif y vois-tu ?

L’objectif principal d’une telle approche consiste à accompagner les enfants dans leur construction émotionnelle et intellectuelle tout en aiguisant leur libre arbitre et en facilitant leur place dans
le groupe. Développer la créativité en faisant appel à l’imaginaire, au sensible permet à la personnalité de l’enfant de se révéler. Dans le cadre d’actions à l’échelle d’une classe, chacun participera fructueusement à l’élaboration de l’oeuvre en intégrant le cadre dans lequel celle-ci se développera. Rencontrer et travailler avec un artiste, écrire un texte, participer à la composition de la musique, choisir des arrangements, se produire sur scène, se mettre en scène… autant d’étapes pour acquérir et élargir les qualités et les connaissances de l’enfant.

Quel avenir pour les artistes, salles, producteurs, publics autour de cet intérêt et des enjeux grandissants de la création musicale jeune public, alors que les moyens de création et les conditions de rayonnement de ces projets semblent encore limités ?

Effectivement, le développement sans précédent de la création musicale jeune public auquel nous assistons aujourd’hui ne bénéficie pas encore des moyens adaptés. Pour y remédier, la création de RAMDAM appuyée par la SACEM, il y a maintenant trois ans, est fondamentale. Cette structure a pour objet de rassembler les différents acteurs et de structurer le secteur. Le réseau ainsi constitué peut agir en vue d’une véritable reconnaissance auprès notamment des instances qui ont la capacité d’apporter les moyens financiers attendus. À ce titre, nous pouvons signaler la création d’un chargé de mission au Ministère de la Culture qui réalisera une étude sur la création musicale jeune public. Des données et analyses dont nous avons besoin pour mieux appréhender la situation actuelle et les spécificités du secteur, souligner les enjeux et prévoir les prochains défis dans un contexte fragilisé par la crise sanitaire. Dans cette dynamique, des collaborations avec les collectivités territoriales sont en cours dans un certain nombre de départements et régions pour continuer à développer des programmes de valorisation et de soutien.

On le sent dans nos salles, il y a un intérêt croissant pour les propositions musicales jeune public capables de réunir toute la famille. Comment te l’expliques-tu ?

Les adultes quelles que soient leurs professions ont pris progressivement conscience de l’importance d’ouvrir les enfants à l’art dès le plus jeune âge. Ainsi les parents auront le souci de partager avec leurs enfants des expériences culturelles fondatrices : aller au cinéma, au musée… et bien sûr aller dans une salle de spectacle. Dans certains cas, ce seront les enfants sensibilisés par l’école ou les structures qui amèneront leurs parents dans les salles de
spectacle. Alors quoi de plus agréable et de plus pertinent que de se retrouver ensemble autour d’un spectacle musical jeune public…
Si le spectacle est réussi pour les enfants, il l’est aussi pour les adultes qui partageront le même intérêt et le même plaisir que les enfants. À l’issue de la représentation, ce sera aussi l’occasion d’échanger, de discuter, de défendre son point de vue. On voit bien qu’en termes de création de lien et de cohésion, le spectacle musical jeune public est un levier des plus adaptés.

Plus largement, quel regard portes-tu sur notre action et votre imbrication dans celle-ci ?

Entre l’Espace Django et la SACEM, c’est une longue histoire de compagnonnage notamment à travers Les Fabriques à Musique puisque l’Espace Django est la seule structure culturelle qui a réalisé l’ensemble des Fabriques à Musique proposées : Fabrique à Chansons, Fabrique Electro, Fabrique Jazz et Musiques improvisées, Fabrique Musique contemporaine, Fabrique Musique et Image en balayant tous les niveaux scolaires. L’un des atouts de ce dispositif est de permettre aux élèves de découvrir des répertoires musicaux moins accessibles pour eux, de traverser des univers artistiques originaux et de s’ouvrir à d’autres imaginaires. Nous avons toujours apprécié la facilité et la fluidité de notre partenariat car en résonance avec l’exigence et la qualité du projet artistique du lieu. Chacun dans son rôle, nous œuvrons pour que la démocratisation culturelle devienne une réalité.

Un souvenir marquant que tu souhaites nous partager ?

Difficile de répondre à cette question, car la réponse serait trop anecdotique et particulière… Joker !