Chacun·e sa route !

12.06.2024

Cette saison, nous avons passé beaucoup de temps (disons encore plus que d’habitude) avec nos voisins du Collège Solignac, en particulier la quinzaine d’élèves de 4e Segpa. Des allers-retours nombreux entre la salle de classe et la salle de concert pour mieux se connaître, avant d’expérimenter le module de découverte du métier de technicien·ne lumière que nous avons lancé depuis un an. Une immersion grandeur nature pour découvrir, manipuler, et comprendre les enjeux de la mise en lumière d’un concert, le tout mêlant expériences pratiques et moments de partage avec les autres corps de métier. Céline Ledermann, leur enseignante et Kévin Bernard, le technicien lumière qui les a accompagnés nous livrent leurs ressentis sur le projet.

Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Céline Ledermann : J’enseigne depuis près de 16 ans au sein de la Segpa du Collège Solignac en tant que professeure des écoles spécialisée. Cette structure accueille des élèves présentant des difficultés scolaires graves et persistantes. La découverte du monde professionnel leur est proposée grâce à des ateliers au sein du collège et des stages réguliers en entreprises. À l’issue de la 3e, ces élèves s’orientent dans des filières de formation professionnelle de niveau 3 (CAP). Travailler avec Django était une évidence géographique et culturelle. Après plusieurs spectacles « surprises » de leur part au sein du collège, je souhaitais que ce soit le collège qui investisse le lieu. C’est dans ce cadre précis que le projet Arts et métiers a été initié ; il consiste en la découverte de métiers accessibles aux élèves de Segpa dans un contexte artistique et culturel.
Kévin Bernard : Bonjour, je m’appelle Kévin Bernard, je suis éclairagiste du spectacle vivant depuis bientôt 20 ans. Je travaille à l’Espace Django en tant que régisseur lumière. En tant qu’intermittent je travaille un peu partout ailleurs, sur des tournées, des créations, des spectacles de danse, des spectacles d’humour, des conventions, partout où on aura besoin de mes services.

Kévin, au regard de ton parcours, quel bénéfice trouves-tu à présenter ton métier et ton expérience aux plus jeunes ?

Kévin Bernard : J’ai eu un parcours scolaire tout à fait chaotique. On m’a toujours répété que grosso modo, je ne ferai rien dans ma vie. J’ai été en échec scolaire assez vite, on m’a orienté vers des parcours qui ne me correspondaient pas vraiment. J’ai eu la chance plus tard de rentrer dans le milieu du spectacle à La Laiterie en 2006, via une école en alternance. Je garde une certaine rancune d’avoir été mis un peu en marge du système scolaire. Du coup quand il y a des classes un peu compliquées, où je sens que des jeunes n’ont peut-être pas les clés pour s’intéresser à certaines choses, ou quand on ne les amène pas à s’y intéresser, j’aime bien venir mettre mon petit grain de sel et expliquer les choses différemment. J’utilise d’autres leviers pour communiquer, peut-être avec un côté un peu plus humain. J’ai toujours marché énormément à l’affect, y compris avec mes professeurs, à qui je m’ouvrais ou non selon leur approche. Mais le bénéfice c’est ça, c’est une petite revanche pour moi de pouvoir leur dire « non, ce n’est pas vrai, vous n’arriverez pas à rien ». Tout le monde peut faire des choses chouettes, il faut juste trouver sa place. C’est très dur pour beaucoup d’élèves, nous ne sommes pas tous·tes forcément adapté·es au système scolaire, à son système d’apprentissage, ou encore à certains enseignant·es.



Qu’est ce que cette immersion leur a apporté selon vous ? Est-ce que ce projet a permis de faire bouger les lignes ?

Céline Ledermann : Cette immersion a permis un véritable temps d’apprentissage hors la classe. Entre partage et ouverture culturelle sous toutes ses formes, les élèves se sont sentis autrement investis. Le partage a été la valeur essentielle de ce projet. Un partage de vécu, d’expériences, d’histoires de vie. C’est ainsi que le rapport à l’enseignant et l’adulte a évolué pour atteindre un temps où l’enrichissement et les apprentissages ont été réciproques. La plupart des élèves avaient un a priori très positif de Django. Ils·elles étaient ravis de découvrir un lieu proche de leur quotidien et l’assiduité constatée à chaque sortie en était le meilleur révélateur. Chacun·e y allait de son commentaire. C’est ainsi que j’ai appris que beaucoup d’élèves connaissaient des membres de l’équipe, que d’autres avaient suivi des cours à l’école de musique du CSC Neuhof ou qu’ils·elles avaient assisté à des spectacles ou projets de création durant leur scolarité à l’école élémentaire. Kévin a partagé son parcours de vie. Il a prouvé qu’avec l’envie, la passion et le travail on pouvait obtenir beaucoup malgré un parcours scolaire imparfait. Les élèves ont découvert ce métier dans son contexte, ont expérimenté et mesuré combien ce métier mêle une forte dimension artistique et technique notamment par ses installations électriques. En plus de ce témoignage, les élèves ont pu expérimenter, le temps d’un concert, les métiers de l’accueil, du service en restauration et de la sécurité.
Kévin Bernard : Sortir de leur quotidien au collège, arriver dans le lieu avec sa part de magie. La scène, les projecteurs, les consoles, les équipements. C’est déjà un truc qui fait rêver. Je pense que, pour elles·eux, c’est vraiment un chouette bol d’air. D’avoir quelqu’un en face d’elles·eux qui leur explique tout simplement et avec passion, son métier. Ils·elles sont ultra réceptif·ives. On est aussi dans une génération où il y a une starification assez importante. Donc, dès que tu dis que t’as fait un peu de tournée avec tel·le ou tel·le artiste qu’ils·elles adulent, ils·elles voient les choses encore différemment. Et pourtant, je m’occupe aussi de la lumière dans la salle de leur quartier, avec la même envie, cette dualité est intéressante. On pique leur curiosité, il y a un regain de confiance essentiel.

« C’est une petite revanche pour moi de pouvoir leur dire “non, ce n’est pas vrai, vous n’arriverez pas à rien”. Tout le monde peut faire des choses chouettes, il faut juste trouver sa place. »

Céline, ces moments à part influencent-ils les apprentissages, et plus largement le quotidien de la classe ?

Céline Ledermann : Ces temps de travail hors de la classe ont été une opportunité unique pour créer un vécu commun et donner du sens aux apprentissages sur le temps et hors temps scolaire. Django a accompagné tout le travail autour de l’orientation professionnelle depuis la rentrée scolaire. Le travail en classe sur l’orientation consécutif à ces sorties a été l’occasion d’échanger, de se questionner sur son propre avenir et surtout de se projeter.

À quel point cette circulation à double sens (Django – Collège, Collège – Django) est-elle porteuse de sens ?

Céline Ledermann : Django ne constituait pas le prétexte du projet mais représentait bel et bien l’axe majeur à partir duquel le projet a pris forme. Il est le résultat d’une collaboration étroite avec le lieu et son équipe. Il a été ajusté et adapté en complète co-construction suite aux bilans de chacune des sorties. C’est cette grande souplesse basée sur les retours en classe et de la structure culturelle qui ont permis une adhésion massive de la classe sur le temps scolaire et hors temps scolaire. L’ouverture culturelle sous-tendue par ce projet a été exceptionnelle puisqu’ils ont pu découvrir des artistes en résidence, écouter un concert en après-midi de Romain Muller et pour certain·nes assister au concert en soirée de Zinda Reinhardt, Mimaa et même Yamê, toute récente révélation des Victoires de la musique.

Kévin tu présentais déjà régulièrement ton quotidien aux différentes personnes qui visitent l’Espace Django. Pourquoi avoir accepté d’embarquer sur un projet plus dense avec un groupe suivi sur plusieurs séances ?

Kévin Bernard : Tout simplement parce qu’on me l’a demandé et parce que c’est une belle initiative. Là dessus, c’est vraiment une salle à part, puisqu’elle ne se cantonne pas à simplement faire des concerts. Ce sont des métiers méconnus, rarement mis en avant. Nous sommes dans l’ombre, le public ne voit pas tout ce qu’il se passe avant et après. Donc je trouve intéressant de le partager, et a fortiori à des jeunes qui vont venir l’après-midi, qui vont comprendre exactement ce qu’il se passe le soir, parce que tout leur a été expliqué en amont. Si ça peut créer des vocations et/ou leur faire passer un bon moment, les remettre dans un bain de sociabilité, dans de bonnes conditions d’apprentissage ce sera toujours ça de pris. J’essaie de cerner un peu les personnalités de chacun·e, d’aller les chercher, de les faire participer. J’ai toujours eu cette satisfaction et ce plaisir d’enseigner, d’expliquer. Le bénéfice, pour moi, il est là.

Vous avez un souvenir marquant de ces séances ?

Céline Ledermann : Plein ! Plus de la moitié de la classe, dont un élève grand absentéiste, a fait le déplacement en soirée et sur la base du volontariat pour assister à l’écoute de prog, une séance d’écoute et de découverte de la programmation pour choisir un spectacle vu peu après par l’ensemble de la classe. Ce moment a d’ailleurs été l’occasion de rencontrer des parents d’élèves que je n’avais encore jamais rencontré au collège. D’autres élèves plutôt réservés en classe ont pris le micro pour interpréter leur chanson préférée au détour d’une visite de la salle et de la rencontre avec des artistes en résidence. Une incroyable surprise qui me permet d’étoffer la connaissance et les qualités de chacun·e de mes élèves. Une autre élève affirme qu’« elle se souviendra toute sa vie du concert de Zinda Reinhardt ! » qui interprétait des chansons en langue Sintikès. Pour d’autres, ces concerts constituaient leur première sortie en soirée. Je me rappelle aussi du travail préalable sur l’artiste Django Reinhardt et le jazz manouche qui a été l’occasion d’évoquer des souvenirs familiaux en classe et de se rendre compte de l’étendue de leur culture musicale.
Kévin Bernard : J’étais content de voir les yeux qui brillent chez l’un·e ou l’autre !